« Peut-on échapper aux collisions avec des planètes sans comprendre  comment  elles se maintiennent sur orbite ? » (inspiré de Cyert et March).

Le  bien-être au travail répond à des aspirations très diverses. Il est judicieux de chercher à satisfaire celles qui peuvent l’être au sein de l’entreprise. Les réalisations possibles  sont-elles identifiées? Les dommages éventuels, infligés et subis, sont-ils compensés ? Des torts sont-ils reconnus  quand ils sont avérés? Prévenir  la multiplication de griefs évitables s’impose.  Faute de s’en occuper, en prenant des initiatives avisées, les contestations se multiplient.

 

Les déclarations d’intention  généreuses sont fréquentes. Des engagements doivent  être pris en connaissance de cause. Pour répondre à des attentes évolutives, maints concepts ont été proposés, tel celui de « slow management ». Quelles sont leurs implications ?

QUESTIONS EN SOUFFRANCE

Les entreprises sont  tenues comptables de leur solvabilité. Dans quelle mesure sont-elles censées contribuer au bien-être de ceux qui déploient des efforts à leur service ? Un employeur n’est pas seulement tenu de rechercher la rentabilité. Il doit aussi veiller aux effets des conditions de travail.

Des positions différentes sont adoptées selon les pays, les secteurs et les firmes. Les attitudes respectives des salariés et des dirigeants ne sont pas identiques. Dans toute organisation, responsables et collaborateurs constatent la coexistence d’éléments d’organisation positifs et négatifs pour ses membres.

Un niveau de bien-être élevé serait-il incompatible avec les risques encourus, y compris ceux d’accident, de maladie, de longévité réduite et de perte d’emploi ?

Parmi les inconvénients les plus graves, les analystes font état de bilans décevants, tels que :

  • L’impact d’une gestion médiocre des relations humaines. A la longue, elle est dommageable au vécu de quiconque subit – ou estime subir –  un traitement inacceptable.
  • Les conséquences  de pratiques « hyper-productivistes »,  incriminées pour atteintes présumées au moral, à l’équilibre mental et à l’intégrité physique des exécutants.
  • Des profils « singuliers » chez certaines personnes qualifiées de «  plus vulnérables que d’autres »  ont d’abord été mis en cause. Puis, plus que des déséquilibres individuels, des rapports de travail déficients ont été dénoncés. Le « management » a été mis en accusation devant des instances publiques. Après enquête, des jugements ont été prononcés identifiant les responsabilités de plusieurs échelons de supervision.

 

Des conditions de mal-être sont caractérisées dans diverses situations :

  • Instabilité accrue de l’environnement : réorganisations, restructurations et changements de périmètre qui touchent tout ou  partie de l’organisation et qui parfois modifient radicalement les conditions d’exercice des activités;
  • Peur du chômage et incertitudes qui génèrent chez les salariés un sentiment d’insécurité et les trouvent démunis face à des difficultés inattendues ;
  • Politiques salariales mesquines ;
  • Exigences angoissantes de nouvelles technologies « cannibalisant » les relations humaines, qui estompent la frontière entre vie privée et professionnelle et réduisent la qualité des relations face-à-face au profit d’échanges à distance, etc.;
  • Intériorisation par l’encadrement de la financiarisation  de l’économie. La performance budgétaire devient la première échelle de valeur dans les appréciations. La performance sociale est peu reconnue, le mal-être ignoré; processus d’évaluation inadaptés.
  • Attentes anachroniques de « patrons » imbus de conceptions d’autorité périmées (Cf. PrJacques Rojot, Panthéon-Assas).
  • Contrôles en continu, organisations matricielles, « reporting » multiples, nuisant à l’autonomie et à l’indépendance ;  supervision dépourvue de compétence…;
  • Tensions liées à l’accélération et à l’augmentation des demandes de clients dans une économie fortement transformée  par la mutation des modes de service ; etc.

RÉACTIONS

  • Les directions ont entrepris de définir leur stratégie pour éradiquer des traitements iindésirables :
  • Des instances publiques se sont appliquées à intervenir lorsque des règlementations, des accords,  contrats ou des lois paraissent violés.
  • Cadres et salariés se sont sentis concernés plutôt que de rester passifs devant des  comportements inappropriés de dirigeants et de collègues
  • Des  responsables de ressources humaines RRH se sont exprimés. Ils estiment, comme les salariés, que le bien-être au travail est un levier pour «humaniser» les relations internes, attirer des talents et stimuler la productivité.
  • Des dirigeants patronaux ont présenté des propositions pour améliorer la santé psychologique au travail. Leur rapport « Bien-être et efficacité » répondait à l’invitation d’un ministre. Ces personnes ont déposé leurs recommandations,  soutenant qu’un métier n’est pas qu’une source de rémunération. Il contribue à l’épanouissement des salariés et à la consolidation du lien social.
  • Des différences d’appréciation peuvent éventuellement exister entre responsables de ressources humaines et personnels sur la gravité  de  souffrances  au cours de prestations professionnelles.

En France, en janvier 2015, le gouvernement  a fait voter une réglementation destinée à mesurer les facteurs de risques professionnels et la pénibilité du travail. Pour Luc Ferry, le dispositif imposé aux employeurs de plus de 45 salariés apparaît sur le terrain d’une complexité qui risque de nuire à l’emploi. La CFDT soutient le dossier, le patronat exprime son hostilité.

En Belgique, l’employeur est légalement tenu de prendre les mesures nécessaires pour prévenir la charge psychosociale (Arrêté Royal). Celle-ci se définit outre-Quiévrain comme une charge qui trouve son origine dans  l’exécution du travail ayant des conséquences dommageables pour l’intégrité physique, morale et mentale de l’agent.

La charge mentale (ou cognitive) d’une occupation renvoie notamment à la quantité d’informations à traiter dans un délai donné  et à leur complexité; la charge psychique est liée aux dimensions affectives des tâches, aux émotions à gérer au travail, voire au-delà.

Un stress prolongé est mis en évidence lorsqu’il y a déséquilibre entre les sentiments d’une personne qui est exposée aux contraintes imposées par son environnement et la notion de ses ressources pour y faire face. Il entraîne des dysfonctionnements physiques, psychologiques ou sociaux qui touchent à la fois la santé des salariés et la productivité des firmes.

Le stress serait souvent dû à des exigences mal supportées du travail et à la souffrance relationnelle, suite à des conflits interpersonnels ou de groupes. La violence et le harcèlement créent aussi un dol psychosocial.  Une analyse des risques conduit à  mettre fin aux situations réprouvées. Une fois détectées, on ne les laisse pas perdurer.

STRATÉGIES

L’éradication de comportements nuisibles au bien-être, toujours relatif, au sein des entreprises, est complexe. Elle s’inscrit dans la durée.

Des  dispositions pour préserver le bien-être des salariés sont à prendre « en amont ». En particulier :

  • impliquer les directeurs généraux et les conseils d’administration,
  • lier la rémunération des dirigeants à leur performance sociale,
  • développer la formation au management social dans les grandes écoles,
  • assurer la rentabilité de l’investissement en personnel en suivant des plans d’action et de perfectionnement et créer des indicateurs  appropriés dresser un bilan social annuel,
  • renforcer les instances « Hygiène et Sécurité» des comités d’établissement,
  • réaliser des programmes phasés dédiés au bien-être.

L’amélioration des perceptions des intéressés à cet égard est sans doute progressive, souvent fragile et partielle : des incidents critiques répétés, des décisions inadaptées, des  promesses non tenues, voire des maladresses, détériorent l’image des directions.

 L’élaboration d’une stratégie à la mesure des  besoins, des moyens et des revendications est recommandable :

En premier lieu, discerner  les sources de désagréments majeurs, découvrir « où le bât blesse le plus » et vérifier les intuitions à ce sujet. L’optique de l’encadrement n’est pas celle de ses interlocuteurs. Les effectifs se répartissent en catégories qui réagissent à leur façon à des traitements subis. Les frictions sont-elles sans motifs et les épines irritatives imaginaires ?

Les directions accordent-elles assez d’attention aux aménagements ergonomiques souhaitables des lieux de travail ? L’éclairement est-il suffisant ? Les nuisances sonores sont-elles excessives ? Se préoccupe-t-on d’améliorer l’agencement  et  l’aération des locaux, de décloisonnement propice à l’échange et à la convivialité (Bureaux individuels et  partagés, espaces plus ou moins ouverts, nuisances sonores à atténuer, accès aux personnes à mobilité réduite, salles de réunion aérées, coins café, aires de  repos, mobiliers fonctionnels, pauses de détente…) ?

À l’heure du Cloud, de Skype, des réseaux sociaux, etc., le travail à distance peut devenir une alternative pour gagner en productivité et offrir aux employés la possibilité de réduire leur stress et de gagner en autonomie, en prenant plus de responsabilités, soutient Xavier Bonduelle  (Cf. E. Parry et S. Tyson).

Chaque salarié nourrit des attentes qui lui sont propres, plus ou moins réalistes. Les uns et les autres subissent également des influences collectives internes et externes qui peuvent colorer leurs interprétations et orienter leurs réactions.

Des sondages d’opinion et diverses  consultations font partie de la gamme des moyens disponibles pour approfondir l’appréhension des difficultés à surmonter. Il importe de mener périodiquement de telles investigations et d’effectuer des comparaisons, car circonstances et appréciations évoluent.

En second lieu, il est  indiqué de procéder à l’élaboration de plans d’action pour faire face en urgence aux directives et corriger en priorité les faiblesses des politiques les plus contestables. L’encadrement est tenu de s’attacher d’abord à redresser des situations de crise en fonction des orientations de progrès. Programmes et projets adaptés sont à mettre en œuvre, mobilisant tous les échelons de la hiérarchie en s’appliquant, en tenant un langage de vérité, à gagner l’adhésion du personnel.

En troisième lieu, le choix d’un concept partagé de valorisation de la culture d’entreprise, de son organisation et de son style de direction s’inscrit à l’ordre du jour de firmes opérant dans le long temps terme, avec la ferme intention de préserver leur pérennité.

Un modèle de ce type a été proposé par Steiler, Sadowski et Roche, chercheurs-enseignants, auteurs de « Éloge du bien-être au travail ». Leurs choix se réfèrent à des firmes supposées gérées selon un modèle idéalisé  » à l’occidentale ». Ils ne sont pas nécessairement admissibles dans d’autres contextes culturels.

LE « SLOW MANAGEMENT »

Dominique Steiler, John Sadowsky et Loïk Roche invitent à réfléchir sur les enchaînements entraînant  des accidents, des souffrances intimes,  des maladies ou la dépression, mais souvent aussi à un mal-être accru, alors que familles, syndicats, inspecteurs du travail, prud’hommes, tribunaux et médias imputent volontiers des méfaits aux mauvaises conditions de travail. Que soutiennent les auteurs ?

Ils proposent d’emblée un constat : l’histoire, les expériences, les us et coutumes du monde professionnel  etc. ont conduit à la représentation du travail comme un lieu de tension dans lequel les questions d’intérêt respectif et de bien-être sont peu abordées.

Quand les attentions se portent sur le stress professionnel, la notion de responsabilité se limite presque exclusivement aux personnes. Ce qui vient perturber les performances serait lié à une déficience, voire à une pathologie. Comment un manager oserait-il invoquer le stress d’une équipe quand cette prise de conscience risque de le conduire à une augmentation de ses tensions et à fournir des preuves d’incompétence à ses supérieurs et aux clients?

Ne se contentant pas d’incriminer des inadéquations individuelles, des responsables prennent conscience  d’avoir à assumer aussi bien des coûts financiers que des charges liées aux risques psychosociaux que le stress engendre. Il est vrai que les interventions pour modérer le niveau de stress identifié peuvent se voir « reléguées en dernière priorité et supprimées au nom de l’urgence financière ». L’humain et son bien-être figurent-ils explicitement parmi les enjeux majeurs ? Il est à craindre que des préoccupations à court terme priment celles qui touchent aux personnes.

Pratiques du slow management SM : Observant le comportement des dirigeants de firmes prospères, les pratiques les meilleures se distinguent par leur simplicité. Parmi celles que prônent les auteurs de « l’Éloge du  Bien-être au travail », figurent les suivantes :

  • Le SM exige des dirigeants la capacité de se rendre présents et visibles pour les employés, car ils apprécient des leaders qui leur indiquent des voies à suivre.
  • Les responsables s’obligent à prendre du temps pour entretenir des relations avec les hommes et les femmes qu’ils dirigent, pour les écouter, les entendre, dialoguer avec eux et les éclairer. Au sein d’une organisation, les agents ont besoin d’un point fixe, d’un interlocuteur auquel exposer leurs craintes, capable de fournir des réponses – hors réunion, sans toujours avoir recours au téléphone et aux e-mails.
  • Le SM demande aux leaders de se montrer rassurants. Ils font preuve de pédagogie et n’hésitent pas à utiliser la répétition pour renforcer leurs messages fondamentaux. Réitérant leurs explications, ils consacrent du temps à la narration et à l’instruction pour mettre événements  et directives en perspective.
  • L’encadrement apprend à adopter des attitudes positives caractérisées par l’ouverture à autrui, l’optimisme et l’écoute, même en phase « de transition et d’incertitude ». Il  fait face aux problèmes et prend l’initiative de dire la vérité à ses interlocuteurs, employés, fournisseurs, investisseurs, clients et médias en répétant des messages forts. La sincérité du discours est sa qualité majeure. Un dirigeant  convaincu de sa compétence sait qu’il ne peut  seul régler tous  les problèmes.
  • Au-delà des paroles, il est essentiel d’accorder ses actions avec les exigences des situations. Ainsi, les membres d’une équipe de direction qui se voient contraints de réduire les rémunérations doivent commencer par diminuer les leurs.
  • Le SM n’ignore pas les méfaits de désinformations et de scénarios catastrophiques  qui se propagent souvent vite. La maîtrise des communications fréquentes  s’impose comme une nécessité à tous les échelons. Élargir les points de vue chacun s’inscrit dans les tâches des cadres.
  • Une élévation excessive des niveaux de stress est à prendre au sérieux en SM. L’attitude des personnes vis-à-vis du stress dépend étroitement de la manière de l’interpréter. Est-ce quelque chose d’anormal et d’inéluctable ou une réalité sur laquelle il est possible d’agir ? Le devoir des dirigeants et des leaders est de persuader que les crises sont des passages normaux dans une firme et dans une carrière et qu’il s’agit de les surmonter.
  • Le SM tient pour primordial de mettre en perspective et de donner un sens au travail de chacun. Dans certaines circonstances, il faudra redéfinir des buts qui pourront être partagés par la plupart, ne serait-ce  que pour que l’emploi survive !
  • Le  SM entend créer et entretenir une culture de participation remédiant à l’isolement des partenaires. Du temps consacré au dialogue avec les équipes et entre individus contribue à établir un environnement où chacun peut s’affirmer.  Des collègues aiment faire part de leurs avis et énoncer des  idées.

Lorsque des femmes et des hommes perdent la liberté d’interroger et de donner leur opinion, des interprétations disparates et contre-productives se donnent libre cours.

Pouvoir formuler des vœux, des questions et des remarques ne suffit pas. Si une participation durable est un objectif pour quelques uns, elle ne répond ni aux possibilités de toute firme ni aux aspirations de chacun.

D’autre part, lorsqu’elle survient,  la perte d’un emploi génère des drames dont l’employeur seul n’a pas la clé. L’employeur ne doit pas se dispenser d’œuvrer à les prévenir. Aider dans leur quête les collaborateurs dont il se sépare est très souhaitable.

Le cadre juridique dresse seulement des garde-fous. La légalisation du cannabis gagne du terrain dans un contexte où la consommation d’alcool est plutôt tolérée. Mesure-t-on les répercussions d’intoxications importées ?

Les cigarettes électroniques des vapoteurs/vapoteuses s’affichent aux portes de  locaux. Ferme-t-on les yeux sur des infractions au règlement interne? Prend-on des mesures préventives  suffisantes pour éliminer sur les lieux de travail les répercussions secondaires des abus de tabac, d’alcool et de drogues ?

Le bien-être d’une personne ne se définit pas unilatéralement. ‘La souffrance’ est un  ressenti individuel.   Encore faut-il s’efforcer d’en discerner l’origine, recueillir plaintes et souhaits;  ne pas négliger les manifestations de troubles  psychologiques ; chercher si les gênes invoquées sont partagées par l’équipe; moduler les exigences pour  qu’elles soient compatibles avec des obligations familiales ; budgéter des améliorations; dialoguer ; trouver des accommodements individuels ; agir sur les micro-relations au moyen d’incitations (J. Rojot) et établir des priorités.

La qualité de vie, certes, s’interprète différemment selon les individus, les sociétés et les époques. Les impératifs économiques limitent  les marges d’initiative. Cependant, des progrès résultent de la poursuite concertée d’un bien commun.

  

À consulter 

Accord national interprofessionnel (ANI), juin 2013 ; Orientations du Plan Santé au Travail 2015-2019; DémarcheQVT, Qualité de vie au travail, janvier 2015.

Eric A. « Partager le pouvoir, c’est possible » Albin Michel. Institut français d’action sur le stress. Cf. »Le bien-être au travail va devenir une nécessité absolue pour créer de la valeur ». Interview par C. Bys, 9 mai 2014.Usinenouvelle.com ;

Bonduelle, X «L’entreprise libérée» par le télétravail: conjuguer performance et bien-être autravail» Indicerh.net, mars 2015.

 Cyert R.M., March J.G.  «A Behavioral Theory of the Firm» Martino Fine Books, 1963.

 «Engagement en faveur du bien-être au travail et du droit universel à la santé » 

OSI,  www.travailler-mieux.gouv.fr/international-un-engagement-en.html