Des algorithmes pour mieux recruter, gérer les carrières et même prédire les accidents du travail : des outils numériques de plus en plus sophistiqués fleurissent, bousculant la gestion des ressources humaines dans les entreprises et parfois l’éthique. Faut-il s’en méfier ?
L’offre « data RH » est devenue pléthorique : plus de 600 projets numériques « innovants » ont été recensés début 2017 par le Lab RH, association de 400 start-up. Leur ambition : révolutionner les ressources humaines, qu’il s’agisse de délester les responsables RH de tâches chronophages, ou aider les salariés à évoluer, voire leur faciliter la vie avec des services sur mesure ou des plateformes d’échange. Tous ont en commun d’utiliser des algorithmes capables de calculs à une vitesse inégalée afin d’établir des corrélations entre des milliers de données.
- Recruter les bons profils. Le big data ouvre « des champs de possibles que les entreprises commencent à explorer », observe Olivier Parent du Châtelet, du cabinet de conseil en management BearingPoint. Le recrutement d’abord, qui devient « prédictif », pour « identifier les bons profils », performants et susceptibles de bien « s’intégrer ». Une société d’assurances a, par exemple, diversifié son recrutement quand elle s’est aperçue, en croisant les performances et parcours de ses commerciaux, que les « anciens vendeurs de cuisine étaient les meilleurs vendeurs de produits d’assurance », raconte le consultant. Certains outils vont jusqu’à évaluer « l’affinité professionnelle » d’un candidat avec son futur manager. Aider Xerox à dénicher les profils « les plus pertinents » a fait chuter son turn-over de 20 %, rapporte l’éditeur de solutions Cornerstone.
- Former, évaluer, consulter… De plus en plus, l’intelligence artificielle explore d’autres domaines : formation, évaluation, mobilité interne, absentéisme, accidents, bien-être des collaborateurs, ou consultation des salariés sur un projet d’entreprise.
- Analyser les compétences en interne. Le phénomène est très en vogue. « On récupère une trentaine de compétences en moyenne par collaborateur », ainsi le « RH élargit son vivier », raconte Antoine Balourdet, de la société Shairlock, dont l’outil est nourri en partie de données rentrées par les salariés.
- Des risques pas neutres. L’universitaire Laurence Devillers, experte en intelligence artificielle, alerte sur de nombreux risques. Premier d’entre eux : le « deep learning », où la machine apprend seule, ce qui peut créer un système discriminatoire » avec « des prédictions pas fiables à 100 % ». Une forme de « bêtise artificielle », en somme. Risque nº2 : celui d’une « normalisation » à « trop profiler les gens ». Risque nº3 : que ces algorithmes deviennent « trop invasifs dans la vie des salariés », souligne Laurence Devillers. Des outils connectés offrent déjà, aux États-Unis, de mesurer les temps de sommeil et d’activité physique des salariés. Risque nº4 : celui de voir des applications sortir des clous posés par la loi pour protéger les droits des personnes, relève la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui rappelle que « prendre une décision à l’égard d’une personne sur le seul fondement d’un traitement automatisé des données à caractère personnel est interdit », et que ces outils ne peuvent être qu’une « aide ». Risque nº5, enfin, pointé par le Lab RH : voir les algorithmes remplacer petit à petit les RH, dont les équipes font elles-mêmes l’objet de plans de réduction des coûts. L’histoire de l’arroseur arrosé…