« L’expérience est un maître cruel. Elle impose les épreuves avant de donner la leçon »  d’après Vernon S. Law. Une firme, souvent à raison, s’adresse à des organismes extérieurs lorsqu’elle se trouve confrontée à des problèmes supposés impossibles à traiter « avec les moyens du bord ».

Renseigné sur la renommée des consultants et leur spécialisation, l’employeur retient les services d’un cabinet connu ayant maintes interventions à son actif. Le choix revêt de l’importance pour le personnel dans les domaines touchant  à l’organisation et aux structures.

Les conséquences résultant des conclusions dégagées n’affectent pas seulement  ceux qui donnent leur feu vert. Si elles promettent d’être bénéfiques pour la firme, il peut en aller autrement pour des salariés touchés personnellement.

Elles se traduisent habituellement par des mesures applicables dans des délais déterminés, à des coûts substantiels – pas seulement financiers. Avec ou sans consultations préalables autres que celles prévues par le code du travail, les représentants du personnel sont mis au courant collectivement par les voies réglementaires. Les employés sont informés ultérieurement, à titre individuel.

Le DRH  figure parmi les exécutants désignés, sinon toujours consultés, par les décideurs. Un bilan sera finalement effectué.  Mais s’interroge-t-on souvent d’emblée sur les réactions des premiers intéressés, les salariés, leurs familles, les collectivités locales et tous ceux qui feront aussi les frais de l’opération ?

En  2013 et  2014, d’anciens cadres d’un établissement industriel de plusieurs milliers d’employés –  qui ne sera pas nommé ici –  se sont  adressés au  président du  Groupe qu’ils ont servi pendant de longues années. Ils ont tenu à l’éclairer sur leurs vues  à l’annonce d’un nouveau projet de réorganisation confié à un cabinet coté. Leurs témoignages ont une portée générale. La problématique évoquée est similaire à celles qu’affrontent d’autres sociétés

 

PARTENAIRES EN PRÉSENCE

  • Les parties prenantes d’un programme de réorganisation structurelle sont multiples :
  • Les dirigeants donnent leur aval aux  interventions proposées pour parvenir à des constats étayés et à des solutions sensées;
  • Des correspondants internes sont désignés pour collaborer aux investigations ;
  • Des équipes sont constituées pour prêter leur concours à la collecte d’informations  destinées à asseoir les diagnostics sur des données vérifiables ;
  • Les phases et les méthodes d’investigation sont précisées ;
  • Le calendrier des rapports d’étape est fixé ;
  • Les destinataires des conclusions et des recommandations formulées sont désignés ;
  • Le patronat, les organisations syndicales et les médias  vont s’employer, chacun à sa      manière, à présenter leurs interprétations au grand public ;
  • Des reportages diffusent, en ordre dispersé, quelques témoignages plus ou moins convergents d’ex-employés. Il arrive que des protestations de masse fassent un certain temps les grands titres des organes de presse…et inspirent politiques, cinéastes et romanciers friands  de thèmes porteurs.

 

PDG À L’ÉCOUTE ?

L’un des  anciens collaborateurs se fait l’interprète des sentiments d’insécurité qui, à sa connaissance, règnent au sein de l’encadrement. Il fait état d’inquiétudes généralisées quant aux emplois des collaborateurs du Groupe.

Ceux-ci, constatant le ralentissement des activités lancées et des programmes envisagés, invoquent une désaffection croissante de la clientèle, perplexe devant  le flou des plans et des projections. Faute d’une clarification des perspectives offertes aux marchés, une dégradation de la position du Groupe est à redouter. Des postes seront-ils éliminés ? De nouvelles qualifications seront-elles exigées ?

Certaines des allocations budgétaires présumées sont jugées contestables par l’un des interpellateurs.  Les modifications de structure examinées pourraient entraîner  des ajustements d’effectifs.

Réformes et réorganisations sont  conçues pour les accompagner de façon constructive en limitant les dommages inévitables.  Prend-on suffisamment en compte les savoirs acquis par l’entreprise ? Les ressources humaines  sous-exploitées ? Les talents présents et disponibles ?  Les reconversions réalisables ?

Le jeu des filtres hiérarchiques a-t-il occulté des erreurs d’appréciation et bridé le déploiement des potentiels au détriment de la créativité ? Le conformisme a-t-il pris le pas sur l’imagination ?

Au fil des exercices fiscaux écoulés, les consultants ont proposé et réussi à faire adopter des structures d’organisation qui ont beaucoup influencé la façon de gérer l’établissement. Plusieurs réorganisations ont eu lieu sur leurs recommandations, avec  l’appui  des directeurs les plus influents à l’époque. Or, relèvent les commentateurs, les orientations des principaux protagonistes  se sont modifiées depuis les précédentes interventions.  Mais leurs motivations ont-elles été modifiées pour autant ?

Le conseil d’administration et l’ensemble des membres de l’exécutif se soucient toujours principalement du devenir de l’établissement. Leur orientation est centrée sur le sort de l’entité dont ils détiennent les commandes. Ils décident des stratégies et donnent leur aval  à la mise en œuvre des plans par les fonctions compétentes.  Les réalisations elles-mêmes ne sont pas de leur ressort. Ils délèguent  l’exécution  des programmes et des projets aux managers opérationnels.

Les cadres intermédiaires qui  sont comptables des résultats  des unités qu’ils supervisent et des relations entretenues avec  des clients insistent sur l’adéquation des activités et des produits. Ils sont réputés « centrés-sur-le-client». Il leur a été demandé de s’occuper du « comment » sans contester le « pour quoi »… ».

Les salariés de la base sont toujours tenus de faire de leur mieux pour suivre les directives reçues de leurs superviseurs, de s’appliquer à fournir des services du niveau requis aux demandeurs internes et externes. En ce sens, ils sont prioritairement « centrés-sur-le-client ».

Les consultants déploient leur savoir-faire en faisant valoir leur expertise et leur expérience auprès des décideurs. Ils s’appliquent à convaincre ces derniers que les méthodes  qu’ils maîtrisent figurent parmi les plus avancées, les plus valides et les plus pertinentes. Mais leur familiarité avec les spécificités du terrain et les particularités de la clientèle est théorique et reste parfois des plus faibles. Ce n’est ni un pré-requis ni  leur souci majeur.

Pour augmenter leur crédibilité, certains conseils vantent des processus « au goût du jour » jouissant d’une bonne presse et d’un grand crédit auprès d’auteurs figurant au palmarès des meilleures ventes.

La notoriété est un précieux critère de conviction aux yeux des décideurs les moins avertis. Journaux, revues et campagnes publicitaires popularisent  les théories « dernier cri » qui, affublées de noms exotiques alimentent les conversations dans les milieux professionnels.

 

LE DEVENIR DES PRÉCONISATIONS

L’institution interpellée a donné suite plus d’une fois, à quelques années d’intervalle, aux recommandations formulées par le consultant.

Elle  a été amenée, par exemple,  à substituer une structure matricielle à son organisation pyramidale initiale. Celle-ci a modifié la répartition des responsabilités. Avec le temps, plusieurs autres contrats d’assistance ont été conclus avec les mêmes consultants pour résoudre des problèmes, anciens et nouveaux, que le réaménagement ne  parvenait pas à surmonter.

Les mandats pluriannuels des présidents successifs n’ont pas tous été renouvelés. Leurs mandants ont infléchi leurs politiques. Le contexte mondial à évolué dans des conjonctures où la  demande de la clientèle a subi des mutations. Corrélativement, les objectifs de l’entité ont changé. Les finalités ne sont plus tout à fait les mêmes que celles des exercices antérieurs.

Plus d’une fois, de fortes pressions se sont exercées sur les effectifs, avec des effets quantitatifs et qualitatifs mitigés.

Plusieurs catégories de collaborateurs ont souffert d’évictions traumatisantes, des postes ont été éliminés, de substantielles indemnités de départ ont été déboursées, principalement, a-t-il  semblé, afin de pouvoir afficher des chiffres d’effectifs symboliquement réduits (tout en recrutant sans tarder successeurs, remplaçants, intérimaires et consultants à long terme).

À plusieurs reprises, les cabinets consultés ont contribué à  la conception de remaniements consécutifs dont les effets ne semblent pas avoir dépassé le niveau cosmétique.

Le consultant  mérite-il d’être tenu responsable des séquelles de l’opération ? D’être désigné comme  bouc émissaire ? Faut-il incriminer l’inadéquation des expertises investies dans la conception et la réalisation des recommandations, le défaut de suivi et d’évaluation ?  Une appréciation nuancée s’impose avant toute condamnation.

Certains intervenants possèdent sans doute des capacités appréciables. La plupart déploient des efforts soutenus pour que les réformes souhaitées s’effectuent. Les cadres et le personnel, sollicités de s’associer à l’exécution accordent leur concours. Peut-on mieux faire ?

 

CONVERGENCE DES INTÉRÊTS

Que les  administrateurs délégués soient centrés sur la gouvernance n’est ni étonnant ni anormal. Il n’est pas  surprenant que les grands commis de l’entité se vouent, avant tout, à consolider leurs positions à sa tête.  Les consultants, pour leur part, répondent de leur mieux à la demande solvable des instances au pouvoir. La convergence des intérêts se traduit par le lancement de réformes  qui paraissent désirables à ses promoteurs.

Dans le meilleur des cas, directeurs et consultants explicitent leurs intentions et font connaître les grandes lignes des améliorations qu’il importe, à leur avis, d’introduire. Ils s’efforcent de recueillir l’adhésion, sinon l’assentiment, de l’encadrement et des salariés invités à mettre à exécution des plans qu’il n’est pas question de contester.

À en croire les connaisseurs, observateurs et analystes universitaires, anciens dirigeants et consultants,  la démarche suivie reste généralement incomplète :

En premier lieu, le recueil de données auprès des clients est souvent sommaire et superficiel. Or, ces derniers ont une appréciation pertinente des prestations de l’entité. Ils perçoivent ses faiblesses et souffrent de ses insuffisances.

En deuxième lieu, le choix des consultants ne s’effectue pas forcément après un appel d’offres sérieusement conduit et exploité, sur la base de critères robustes.

En troisième lieu, la prise de connaissance des insuffisances de la gouvernance, des failles de l’organisation, des faiblesses des structures reste superficielle et lacunaire.

D’une part, les enquêtes auprès des salariés ne sont pas conduites « en confiance » de façon exhaustive, en garantissant leur confidentialité.

D’autre part,  les apports  des partenaires internes ne sont pas jugés, à priori, très révélateurs

Or, qui est plus à même d’apprécier la qualité des performances que les opérateurs et les destinataires des services dispensés ? Qui d’autre que leurs contacts directs peut valablement renseigner sur les attentes, les satisfactions et les déceptions des clients?

Les directions sont-elles intimement persuadées que des membres du personnel, interlocuteurs informés,  sont effectivement en mesure d’évaluer les difficultés de l’heure ? Ils  se trouvent pourtant parmi les professionnels confrontés quotidiennement, et souvent pendant de longues années, aux exigences de la gestion.

Certes, les collaborateurs sont aussi légitimement « autocentrés » que les autres parties prenantes. Ils courent éventuellement plus de risques quant à leur propre avenir.

Leurs organisations et divers groupements internes détiennent des savoirs précieux, « de première main », dont on devrait s’enquérir et tenir le plus grand compte avant de réaménager l’édifice édifié en commun. Les intéressés ne sont-ils pas ceux qui ont davantage intérêt à ce que la firme se maintienne et se déploie le mieux possible ?

Bien entendu, les partenaires impliqués ne disposent pas de tous les éléments d’appréciation. Leurs intérêts ne se recoupent pas entièrement. Leurs compétences ne sont pas du même ordre. Leurs vues sur un futur désirable ne sont pas forcément convergentes. Elles peuvent présenter des contradictions. Il est normal que les instances élevées tranchent entre les options proposées après les avoir soigneusement examinées.

 

D’AUTRES TEMPS

Le président est entouré d’une équipe d’administrateurs. Chaque fois qu’une décision d’une certaine portée est à prendre, le consensus peut être de rigueur. Cela ne signifie pas que des divergences d’opinion ne subsistent au sein de l’aréopage et que les applications ne soient freinées, voire remises en cause (Cf. Ansoff, expert en stratégie).

Les mandants des dirigeants sont informés des délibérations. Leurs avis peuvent être déterminants et peser sur les choix de politique interne, de tactiques et de stratégie de l’établissement. Il n’est pas question de les ignorer, d’autant que la reconduction des mandats dépend de l’appréciation des actionnaires les plus influents.

Une stratégie d’ensemble définie a l’avantage de guider les décisionnaires. Mieux vaut l’élaborer et l’expliciter autant que possible en pondérant les variables à considérer. Les stratégies sont destinées à évoluer périodiquement. Encore faut-il se préparer à les réviser avant que des circonstances contraignent de le faire « en catastrophe »…

Les réformes sont d’autant plus réalisables que ses promoteurs interprètent correctement les leçons du passé et captent les indices des évolutions en cours au sein de l’entreprise et dans son contexte particulier.

À l’évidence, dans une phase historique de transitions accélérées, les principales variables, économiques, financières et technologiques ne sauraient être perdues de vue sans danger. Cependant, d’autres aspects des transitions demandent à être considérés : des attentes changeantes, culturelles, sociales, psychologiques et morales, exigent désormais beaucoup plus d’attention que par le passé. De même que la formation continue « d’agents du changements ».