« Tant vaut l’aune, tant vaut la mesure ». Classer les pays est fort en pratique. Le Produit national brut (PNB), le Produit intérieur brut (PIB), les taux de chômage, les performances du système éducatif, etc. sont supposés distinguer les « meilleurs » des «moins bons ».

Or, les généralisations séduisent et déçoivent simultanément. Des interprétations risquées, souvent trompeuses, laissent les dirigeants de nations « bien notées » s’attribuer des mérites surpassant ceux de leurs homologues étrangers. Les données présentées devraient pourtant inviter au scepticisme.

Des chercheurs ont proposé des classements qualitatifs plus significatifs que des tableaux de chiffres qui reflètent partiellement les positions. Des comparaisons nuancées revêtent plus de sens si l’on se soucie d’appréhender des situations vécues.

Une palette de critères convaincants est proposée. Des point de repères bien choisis, sont publiés. Ils sont édifiants seulement à certains égards.

Confrontons les définitions classiques à celles qui recueillent l’adhésion d’experts. Considérons aussi des domaines qui dépassent le cadre national. Interrogeons-nous enfin sur les objectifs visés.

 

Produits quantifiés

Le produit intérieur brut (PIB) – ou GDP (Gross Domestic Product) – est un indicateur économique de mesure de la production économique réalisée à l’intérieur d’un pays. Il quantifie, chaque année, la valeur de la « production de richesse » effectuée dans une même contrée par les ménages, les entreprises et lesadministrations…

La variation du PIB d’une période à l’autre est sensée mesurer son taux de croissance économique. Le « PIB par habitant » est supposé refléter le niveau de vie et, approximativement, celui du pouvoir d’achat, sans tenir compte de l’évolution des prix. L’appellation exacte du PIB est « le produit intérieur brut au prix du marché ».

Qualifié d’indicateur de richesse, le PIB, déterminé de façon comptable, ne considère qu’une partie de la valeur créée par l’activité économique (Cf. Définitions INSEE et Wikipédia).

Le « PIB réel » ou « en volume » est  la valeur du PIB sans tenir compte des variations de prix, c’est-à-dire de l’inflation. Le PIB réel a l’avantage de montrer les variations, à la hausse et à la baisse, pour les quantités de production de biens et services. Lorsque l’on mesure la croissance du PIB, mieux vaut considérer cette valeur.

Le produit national brut (PNB), inventé par Simon Kuznets en 1934 aux États-Unis, indique les rentrées nettes de revenus issus de l’étranger, diminuées des revenus payés au reste du monde.

 

D’un à l’autre

Classement des pays les plus riches d’après les PIB mondiaux ainsi que les PIB par habitant (Cf. Journal du Net, 21 juin 2013) :
Les États-Unis conservent leur position de pays produisant le plus de richesse, avec un PIB estimé à 16 238 milliards de dollars. La Chine reste également à sa place, sur la deuxième marche du podium, qu’elle occupe depuis 2010 au détriment du Japon. Le PIB de la France s’élève quant à lui à 2 739 milliards de dollars, soit une augmentation de 5% sur un an.

 

 

Critères diversifiés

L’indice de développement humain (IDH) est un repère composite, créé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 1990 pour évaluer le niveau de développement humain des pays. L’IDH se fonde sur trois critères majeurs : l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation, et le niveau de vie.
Car le PIB par habitant, ne donne pas d’information sur le bien-être individuel ou collectif. Il n’évalue que la production économique. Pour le PNUD, le développement est plutôt un processus d’élargissement du choix des gens qu’une simple augmentation du revenu national.  Un indice dérivé de l’IDH, le GDI (Gender-related Development Index)  prend en compte les disparités liées au genre, soit les différences de situation de vie entre les hommes et les femmes d’un pays considéré.

PIB Vert : Est-il vraiment raisonnable de ne pas chercher à appréhender si les activités économiques accroissent ou font baisser le patrimoine d’une nation lorsqu’elles consomment des ressources naturelles ?

Des économistes  ont proposé «  de soustraire du PIB conventionnel la valeur de la baisse du stock de ressources naturelles nationales ».

Indice du Capital Humain  ICH : Le  Human Capital Index identifie les pays les mieux notés en termes d’optimisation à long terme du potentiel économique de leur main-d’œuvre. Cet indice  est conçu pour mesurer les capacités d’un pays à développer une force de travail formée et compétente.

L’ICH applique une grille de quatre types de mesures : performances du système pédagogique, normes respectées de santé et de soins, qualité de l’emploI, ainsi que les conditions d’existence offertes par un contexte favorable au développement.
1.      « Éducation », c’est- à -dire l’accès, la qualité et la réussite de l’enseignement aux niveaux primaire, secondaire et tertiaire, quel que soit les âges.

2.      « Santé et soins », spécifiquement la santé physique et mentale de la population, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte.

3.      «  Main-d’œuvre et emploi », soit les décalages entre l’expérience acquise, le talent, la formation et les compétences de la population effectivement utilisés.

4.      «  Contexte sociétal », entre autres, les dispositions juridiques, les infrastructures et autres facteurs favorisant les retombées positives du déploiement humain.
Diffusé le premier octobre 2013, l’ICH donne le classement de 122 pays selon lequel la Suisse obtient la première place, suivie par la Finlande et Singapour. Parmi les autres nations accédant au « tableau d’honneur »,  six des sept autres pays sur les dix premiers se trouvent en Europe du Nord. Parmi eux figurent l’Allemagne et le Royaume-Uni. Le Canada, le Japon et les États-Unis se situent respectivement aux dixième, quinzième et seizième rangs.

Le nouvel indice, destiné à «identifier les capacités d’un pays à développer et promouvoir son capital humain », est le fruit des travaux du Forum Economique Mondial FEM à Genève (Cf. Rapport 2013 du FEM). Il est le produit de la collaboration du FEM, de Mercer Consulting et de l’université Harvard, après une consultation mondiale (Cf. : http://wef.ch/hci13full ); News release « Nouvel indice pour identifier les capacités d’un pays à développer et promouvoir son capital humain » www.oliver.cann@forum.org, octobre 2013).

Le «  Programme international pour le suivi des acquis des élèves »  PISA ( « Program for International Student Assessment » ») est un ensemble d’études menées par l’OCDE et visant à la mesure des performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Leur publication est triennale.

Quelles nations comptent-elles proportionnellement le plus de diplômés de l’enseignement supérieur ? Le Canada et Israël.

 

Dépasser le présent

L’avenir sera-t-il plus heureux ? De multiples grilles indiciaires reflètent des réalisations du passé. ll est courant d’en faire usage pour hiérarchiser des collectivités. Ne serait-il pas utile de chercher à en dégager une sorte d’algorithme, une combinaison de facteurs dont l’organisation optimale génère nécessairement des résultats visés? (« Algorithme : suite d’opérations structurées de façon à résoudre un problème donné. La planification et l’optimisation de ressources est l’une des applications non exclusivement mathématiques d’un algorithme » Cf. Wikipédia).

Adolphe Ribordy relève que la Suisse est, pour la cinquième année consécutive, l’État dont l’économie est la plus compétitive du monde. Dans le classement du FEM, Singapour et la Finlande suivent. L’Allemagne n’est que quatrième, l’Autriche seizième, la France vingt-troisième et l’Italie quarante-neuvième.

La comparaison ne dément pas d’autres analyses favorables à la Suisse (Cf. OCDE, palmarès de l’enseignement public, finances institutionnelles, protection sociale, main-d’œuvre en activité, etc.). Le rapport du FEM cite aussi des points faibles pour la Confédération Helvétique (soutien disproportionné à l’agriculture, scolarisation relativement trop limitée dans l’enseignement supérieur, sous-emploi des femmes, accroissement excessif de la règlementation économique …). Le fait est relevé dans l’éditorial d’A. Ribordy paru dans « Employeur suisse », organe de l’Association patronale Suisse publié à Zurich (n°10/2013).

L’application des critères de l’Indice du développement met en évidence que le niveau plus ou moins élevé des revenus dans un pays ne renseigne pas sur ses performances – éventuellement inégales – en matière de niveau de l’enseignement, de qualité des prestations sanitaires, de gravité du chômage ou de contexte sociétal. Des contrées, parmi les moins fortunées, traitent mieux leurs citoyens que ne le font certaines entités politiques économiquement mieux loties. Encore faudrait-il s’entendre sur le sens des termes. L’argent  ne rend sans doute « heureuse » qu’une minorité, fut-ce de possédants.

Selon l’américain Robert Reich, économiste, enseignant à Berkeley,  qui fit partie de l’équipe gouvernementale de Bill Clinton en 1993, pour expliquer la crise, on doit incriminer un partage très inégal des richesses générées dans le pays. L’accaparement d’une proportion excessive des biens par une minorité (les « 1 %), met en danger, d’après lui, à la fois la démocratie et l’économie. « Environ 400 individus disposent à eux seuls d’un patrimoine égal à celui de 150 millions de leurs concitoyens » précise-t-il dans un entretien publié fin 2013 (Cf. R. Reich « Inequality for all » 2013 ; «  L’Express N° 3256,  novembre 2013 ;  Bill Keller « Inequality for dummies » New York Times, 22 décembre 2013).

La paupérisation d’un grand nombre de personnes au cours des années écoulées a été, selon R. Reich, l’une des causes du Krach financier. Il invoque, en particulier, la ponction dans l’épargne et le recours massif au crédit à la consommation ou aux prêts personnels gagés sur la résidence principale, avant l’effondrement de l’immobilier.

La première puissance économique mondiale n’est pas, et de loin, celle qui est la mieux placée au point de vue de l’efficacité de son système scolaire, de la couverture des besoins sanitaires et médicaux, de l’adaptation des infrastructures routières et ferroviaires, ou de l’emploi des jeunes et des seniors, etc.

Les disparités des revenus d’une région à l’autre  des USA sont incontestablement très fortes (Cf. Meredith Whitney « Fate of the States: The New Geography of American Prosperity »Portfolio/Penguin, 2013). Dix pour cent des américains détiennent maintenant cinquante pour cent de la richesse du  pays déplore leur président dans son discours du 4 décembre 2013.

 

Par dela les frontières

Consultés par le FEM, plus de 1 000 experts ont scruté les menaces potentielles pesant sur le monde. Les dommages pouvant en résulter sont plus que redoutables. Ceux-ci ne touchent pas seulement un pays. Les  économies ne sont pas indépendantes les unes des autres.

Aux classements 2013 par PIB, PNB, ICH, etc. s’ajoute celui des risques partagés, sociaux, économiques, écologiques, technologiques et géopolitiques (Cf. 8ème édition de « Global Risks » FEM ;  dossier du périodique bancaire zurichois bulletin@abk.ch). « Bulletin » 2/2013.

La première place du classement des 50 risques mondiaux les plus graves attribuée par les experts est donnée aux  fortes inégalités de revenus. Parmi les autres menaces détectées, combien en est-il à ne toucher –  à des degrés divers – qu’une seule entité nationale à l’exclusion d’autres ? Jugeons-en :

  • Déséquilibres budgétaires chroniques
  • Hausse des émissions à gaz de serre
  • Crise d’approvisionnement en eau consommable
  • Absence de mesures face au vieillissement de la population
  • Cyber-attaques
  • Omniprésence de la corruption
  • Volatilité extrême des prix agricoles et de l’énergie
  • Échecs de la gouvernance mondiale
  • Persistance des conditions climatiques extrêmes
  • Déséquilibre chronique du marché de l’emploi
  • Urbanisation mal contrôlée
  • Surexploitation et extinction d’espèces vivantes
  • Contagion du fanatisme religieux
  • Méfaits des terrorismes
  • Mauvaise gestion du sol et des ressources aquatiques
  • Pénuries alimentaires
  • Échecs de la résolution de conflits par la voie diplomatique
  • Vols massifs de données personnelles et fraudes de grande ampleur
  • Effondrement brutal d’économies émergentes
  • Criminalité organisée, grand banditisme
  • Lutte inefficace contre la drogue
  • Croissance démographique insoutenable
  • Défaillance majeure du système financier
  • Hausse des maladies chroniques
  • Migrations incontrôlées
  • Pollution irrémédiable
  • Prolifération d’armes de destruction massive

 

Quel bonheur ?

Un indice du bonheur d’une collectivité aurait-il donc un sens ? Un indicateur économique alternatif,  le « Happy Planet Index » (indice de la planète heureuse) a néanmoins classé 178 pays selon leur écologie, l’espérance de vie et le degré de bonheur des habitants !

Le Genuine Progress indicator (GPI, ou Indicateur de Progrès réel) est un  autre outil, proposé aux Etats-Unis, qui tente de synthétiser en un seul indice monétaire les gains réalisés en matière économique, sociétale et environnementale. Il part de la mesure de la consommation des ménages, à laquelle s’ajoutent des contributions au bien-être exprimées en termes monétaires, telles que les activités bénévoles et le travail domestique. Puis est soustraite la valeur estimée des richesses naturelles perdues (dommages à l’environnement, destruction des ressources non renouvelables, …) et des dégâts sociaux (chômage, délits, accès au logement, couverture sanitaire lacunaire…).

Le degré d’inégalité de répartition des richesses et le niveau d’endettement de l’Etat sont à prendre en compte. Des PIB en hausse sont loin de traduire des progrès uniformes des conditions d’existence des populations démontrent S. McSeawell et L. Daly.

Aux USA, malgré une augmentation quasi continue du PIB au cours des cinquante dernières années, le progrès dit «réel» tend à régresser depuis le milieu des années 1950 selon les catégories sociales. Il doit en être de même dans nombre de nations.

Demandons-nous, d’autre part, si des désastres tels ceux de Gaza, de Grèce, de  Syrie, de Somalie, voire du  Zimbabwé ou du Ruanda, etc., s’expliquent en focalisant exclusivement sur leurs économies, comparées selon des critères quantitatifs ?

La mise au point d’indices alternatifs se conçoit et se justifie aisément. Mais ne faudrait-il pas aussi  reconnaître que des personnes dépourvues d’un minimum de ressources, dans quelque collectivité que ce soit, ne sont guère en mesure de remédier isolément à leur déplorable condition ? Ne serait-il pas temps de promouvoir des initiatives politiques qui les aideraient effectivement à réaliser une adaptation autonome ?

Sources
Y. Amiel «Thinking about inequality» Cambridge 1999

Diane Coyle « GDP: A Brief But Affectionate History » Princeton University Press 2014
 

Credit Suisse « 2013 Global Wealth Report» Zurich 2014; Bulletin 5/2013, Zurich.
Guichet du Savoir «Le Genuine Progress Indicator» BM de Lyon.

Ezra Klein « 10 startling facts about global wealth inequality » Washington Post, 22 janv 2014.

Lakner, Christoph, Branko Milanovic «Global income distribution: from the fall of the Berlin Wall to the Great Recession», World Bank Working Paper No. 6719, décembre 2013

Amartya Kumar Sen, «On Economic Inequality», Oxford, 1997 (Cf.Coefficient de Gini).
Sean McElwee, Lew Daly « Why we should abolish the GDP» Washington Post, 5 juin 2014