Stress indésirable ?       

Par Charles Kramer

 

Quelles dispositions une organisation prend-elle lorsque des stress s’avèrent liés à certaines activités? Les tensions auxquelles l’organisme humain s’expose au travail ne sont-elles pas normales, voire gratifiants ? Jusqu’à quel point ? Indéniablement, les activités professionnelles procurent à la fois des satisfactions parfois intenses et des désagréments éventuellement sévères.

 

Des atteintes graves sont en tous cas à éviter. Quels pièges déjouer? Comment encourager le développement de conditions acceptables par la plupart? Faire en sorte que les collaborateurs trouvent leur travail stimulant et bénéfique ?

 

À défaut de solutions passe-partout, lancer des démarches spécifiques s’impose. Diverses mesures à prendre sans délai ont été identifiées.

 

Notion ambiguë

Ces questions sont d’actualité, à en juger par la forte médiatisation dont jouissent quasi quotidiennement des faits divers dramatiques. De quels appuis les salariés jouissent-ils? L’entreprise est-elle capable d’atténuer des répercussions indésirables? De quels appuis les salariés jouissent-ils ?

 

Ces questions restent d’actualité, à en juger par la forte médiatisation dont jouissent quasi quotidiennement des faits divers dramatiques. De quels appuis les salariés jouissent-ils? L’entreprise est-elle capable d’atténuer des répercussions indésirables? De quels appuis les salariés jouissent-ils ?

 

De toute évidence, les conditions stressantes abondent. Le rapport publié  par  Eurofound en octobre 2014 est éloquent. Selon cet organisme public, les risques dits « psychosociaux » se multiplient notablement en Europe comme ailleurs.

 

Le stress n’est pas une rareté. Délimitons ce que les termes signifient pour nos interlocuteurs et nous-mêmes. Il doit être considéré comme une réponse normale de l’organisme à certaines conditions de vie et de travail. Au-delà et en deçà de seuils d’intensité, il devient de moins en moins supportable pour quantité d’opérateurs.

En biologie, le Dr Hans Selye a initialement identifié un «syndrome général d’adaptation» décrivant un mécanisme d’adaptation. Face à des stimuli externes, il a mis en lumière des réactions habituelles d’un organisme placé dans des conditions perçues comme extrêmes.

 

En psychologie, on a également dépeint des besoins de réalisation poussant à agir pour aboutir à des résultats (achievement needs). Les réactions émotionnelles et mentales aux sentiments éprouvés ont été étudiées. À certains niveaux de sollicitation, le stress incite à l’action. L’organisme se mobilise pour faire front. De l’euphorie peut être ressenties et recherchée. À d’autres niveaux de déploiement de ses ressources, l’organisme souffre. Les seuils d’agrément et de désagrément varient. Selon les individus, la nature, la durée et l’intensité des efforts dépensés n’entraînent pas des perceptions identiques. Les vécus diffèrent.

 

En médecine du travail, il est surtout question de prévenir et de soigner des Répercussions pathologiques. Le stress professionnel désigne des sollicitations fortes, soit agressives soit heureuses, auxquelles nous ne savons ou ne pouvons répondre. Le terme revêt pour le moins un double sens:

D’une part, il qualifie des atteintes physiologiques, émotionnelles ou psychologiques imputées à des situations de travail anormales acceptées ou imposées,

D’autre part, le terme sert à désigner la stimulation manifeste d’individus qui déploient une intense énergie, développent leurs capacités, atteignent de hauts niveaux de performance et accèdent à des fonctions supérieures ou se montrent créatifs et entreprenants, parfois au détriment de l’équilibre de  leur existence personnelle.

 

Biologistes, neurologues, psychiatres, psychosomaticiens, neurologues et d’autres experts, tombent pour la plupart d’accord pour incriminer des excès de stress lorsque des troubles affectifs, nerveux, relationnels ou des affections graves se déclarent.  Au nombre des désordres provoqués sont mentionnés les suivants: addictions, agressions, anxiétés, irritabilité incontrôlée, colères violentes, dépressions, fatigue chronique, insomnies, maladies psychosomatiques, surconsommation de médicaments, excitants ou calmants…

 

Divers travaux incriminent les stress prolongés dans la chronicité d’affections respiratoires (rhino-pharyngites), surpoids, troubles aigus du sommeil, vieillissement précoce, cardiopathies, ulcères et autres ennuis digestifs, dysfonctionnement  musculo-squelettiques etc.

 

Aussi des spécialistes proposent-ils aux entreprises, consultations, diagnostics et programmes d’entrainement conçus pour prévenir et de réparer les dommages afférents.

 

Discernement souhaitable

Médecins, thérapeutes et formateurs offrent leurs services. Cependant, des officines aussi peu compétentes qu’intéressées font commerce de pseudo-solutions. Diverses sectes prospèrent en commercialisant des sessions-pièges pour firmes et particuliers.

Maintes officines aussi intéressées que peu compétentes font commerce de pseudo-solutions. Chacun doit donc exercer son discernement pour échapper aux mystifications.

Certes,  services sociaux et juridiques interviennent éventuellement en faveur de présumées victimes. Syndicats et associations dénoncent des abus. Ils usent parfois de leur influence. Des sociologues font valoir des interprétations divergentes. Il reste vrai que le domaine pose des problèmes d’envergure.

Des soupçons sont nourris à l’encontre de certains patrons. Le Docteur P. G. Dabon, évoque « Les effets pervers du stress au travail». Il soutient que certains hiérarques exercent délibérément des pressions excessives sur leurs subordonnés. Pourtant, souligne-t-il, le stress utilisé comme mode de gouvernance d’entreprise est contre productif et non rentable. Contre productif car il rend les salariés malades et des salariés malades sont moins productifs que des salariés en bonne santé.

 

Que l’on accorde ou non crédit aux assertions des uns ou des autres, la perplexité domine.

L’entreprise se sent-elle directement concernée par des atteintes potentielles au bien-être physique, psychologique et émotionnel de ses personnels? N’offre-t-elle pas des stimulations très recherchées par ceux qui se sont mis à son service?

 

Quelle est sa part de responsabilité? Assurer durablement la maîtrise de son bien-être et de sa santé ne relève-t-il pas aussi d’une obligation privée de  chacun?

 

Tout individu représente une entité unique, indivisible. Qui se préoccupe suffisamment de son hygiène de vie, de sa santé et de l’équilibre entre vies privée et professionnelle ? Il est certes problématique de bien distinguer ce qui nous affecte en raison de nos occupations de ce qui nous touche pour une foule d’autres motifs.

 

Contexte

Dans sa propre sphère d’existence, chacun s’insère dans des systèmes sociaux (la famille, des collectivités, une nation, des cultures et diverses organisations auxquelles on ne peut que rarement se soustraire). L’entreprise figure parmi ces systèmes. Elle est seulement l’un d’entre eux.

 

Le stress qu’un salarié ressent naît aussi bien du contexte de son évolution en dehors de son milieu de travail que des sentiments qu’il éprouve dans le cadre de celui-ci. En fait, les tensions qui se manifestent dans une équipe tiennent à la fois de facteurs externes et internes. Des déterminismes collectifs interviennent, mais des particularités individuelles identifiables.

 

En Europe comme ailleurs, des magistrats ont imputé certains suicides au surmenage. Des analystes ont lié certains suicides à une gouvernance d’entreprise déficiente voire au harcèlement de salariés. Un «syndrome de détérioration» dénommé «burnout» est déploré dans des établissements très divers.  La métaphore du citron que l’on presse et jette sert à blâmer l’ingratitude supposée de  l’employeur envers des collaborateurs « définitivement » épuisés.

 

Néanmoins, les raisonnements par analogie ne rendent pas compte de la complexité de personnes  susceptibles de se détériorer au travail mais aussi de réagir, de s’adapter et de se renouveler dans diverses circonstances. Un entourage prodiguant un appui approprié peut atténuer des difficultés individuelles, Toujours est-il qu’un  employeur  doit veiller à ce que des subalternes mal intentionnés ne fassent pas la loi et nuisent aux co-équipiers.

 

Une interprétation univoque des réactions au stress est à rejeter. Est-il approprié d’incriminer surtout des conditions d’emploi exigeant des efforts d’adaptation parfois disproportionnés  pour expliquer toutes les fortes tensions dont certains salariés s’estiment victimes mais que d’autres maîtrisent et apprécient comme source de satisfaction et de réalisation personnelle ?

 

Au passif des emplois

Ni réformateur social, ni médecin, ni philanthrope, un employeur avisé et des responsables de personnel qualifiés ne détournent cependant pas le regard de ce qui affecte leurs collaborateurs. Ils se fixent pour objectif de faire converger tous les efforts. Leur rôle est de faire en sorte que tous puissent œuvrer en collaboration selon des modalités acceptables.

 

Mobilisant des ressources morales, intellectuelles et matérielles, les directions ont le champ libre pour prendre diverses initiatives afin de réduire des exigences excessives qui se manifestent dans  la collectivité de travail. Il leur appartient d’adopter des dispositions préventives (tableau 1) qui feront de chaque unité un milieu plus apprécié.

 

Griefs et plaintes (tableau 1)

Accumulation de formalités à remplir; échéanciers irréalistes ;

Ajustements successifs imposés, pénibles, sans consultation, au détriment des exécutants;

Anticipation de perte d’emploi; délais de promotion injustifiés; surévaluation des diplômes ;

Aspirations non prises en considération ; expérience sous-estimée :

Attentes déçues: Impact d’événements inattendus; déceptions prévisibles ou non;

Carrières: Perspectives floues ; prévisions non fiables; interlocuteurs indécis et imprécis ;

Changements très fréquents; Suite de modification d’organisation incessantes et profondes ;

Communications tardives, aléatoires, contradictoires, disparates, sans un minimum d’égards ;

Concurrence intense au sein des équipes; rapports interpersonnels décevants;

Conditions matérielles: Cadre de travail jugé médiocre; fortes nuisances ;

Confiance problématique entre supérieurs, subalternes et les pairs;

Contradictions de l’encadrement; conflits de direction ; instructions peu cohérentes ;

Crédibilité douteuse des dirigeants et de l’encadrement;

Déplacements épuisants, très fréquents; périodes de détente insuffisantes pour récupérer ;

Culte de la performance: course au résultat généralisée. Délais toujours plus courts;

Environnement contaminant, toxique : Amiante, plomb, substances cancérigènes…

Exigences: Peu de tolérance aux erreurs. Déni du droit à l’erreur ;

Intrusion constante des technologies; invasion du courrier électronique et du téléphone;

Ligne hiérarchique imprécise; multiplication des échelons; organigrammes fluctuants;

Objectifs irréalistes, estimés inaccessibles;

Ostracisme à l’encontre de personnes handicapées ;

Qualité de vie: Envahissement de l’existence privée par des exigences et des tourments nés

de la vie professionnelle; dates de congé imposées ;

Relations extérieures: Dictature du client et des fournisseurs; impératifs excessifs;

Répercussions de fusions et rachats de sociétés ;

Sanctions: Distorsion des échelles de récompense; dévalorisation des efforts; rétribution peu en

rapport avec les prestations; méconnaissance des efforts déployés et des services rendus ;

Sentiment de se trouver «diminué» dans l’environnement immédiat

Travail: Charges individuelles  très lourdes, disproportionnées, alors que les horaires s’amenuisent et que les délais d’exécution restent impératifs ;

Veilles prolongées; permanences imposées; contrôles tatillons ;

Violences: Incivilités; agressions verbales; attaques physiques; insécurité des transports.

 

Ne pas nuire

Toute firme se doit de veiller à ne pas nuire à ceux qui travaillent avec et pour elle. Elle entend, au contraire, faire en sorte d’entretenir des rapports positifs avec toutes les parties concernées. Procurer des satisfactions figure parmi les objectifs à viser.

 

Quant aux dommages qui lui seraient imputables, une firme désireuse de remplir son mandat social, économique et financier se préoccupe de se tenir informée et de s’inquiéter des effets de stress  qui :

a) se prolongent à l’excès au détriment de  l’efficacité de l’organisation et affectent durablement la santé du personnel;

b) se manifestent davantage dans tel secteur, chez telle catégorie et à tel échelon;

c) sont combattus avec insuffisamment de détermination par la hiérarchie.

Simultanément, l’entreprise s’emploiera à encourager les motivations de réussite en mobilisant les meilleurs concours. Elle optimisera les réalisations en procurant des gratifications liées au déploiement des talents dans des conditions favorables à l’épanouissement des collaborateurs.

 

Que chaque individu s’applique à gèrer ses réactions au stress est un impératif de survie dans une conjoncture de changements rapides, d’évolution des sociétés, de mutations techniques, de besoins amplifiés, de demandes élargies en matière de production, de services et de biens, compte-tenu d’aspirations nouvelles et de maintes d’autres conditions évolutives.

 

Mesures adaptatives

Des  mesures sont à prendre si l’on postule que les problèmes mis en évidence ne sont nullement inévitables. Un programme d’actions est d’autant plus applicable que les maux observés n’affectent généralement qu’une fraction des effectifs. Le personnel féminin peut se trouver systématiquement défavorisé. Un agent est ordinairement d’autant plus stressé qu’il appartient à un groupe mal géré!  Certaines  catégories sont plus mal loties que d’ autres, etc.

 

Sur la foi de sondages d’opinion, par exemple – entre autres indications diagnostiques – une firme peut décider de mobiliser les efforts de son encadrement et cibler d’abord quelques unités où le malaise se manifeste le plus tout en mettant en œuvre des dispositions pour empêcher que les conditions de groupes relativement plus satisfaits ne se détériorent.

 

La hiérarchie doit nécessairement prendre les problèmes en charge. Les services de personnel, de formation et d’organisation sont mis à contribution. Des médecins sont appelés pour dispenser les soins de leur ressort. L’intervention de conseils internes et externes est sollicité, un budget stratégique alloué.

 

Dans la réalisation d’un projet de ce type, dix champs d’actions sont prioritaires:

–           Appuyer les chefs des départements les plus concernés dans leurs action et améliorer d’urgence la situation dans les unités les moins favorisés

–           Ouvrir des sessions spéciales de formation des cadres à la lutte anti-stress, offrant des séminaires en vue d’un impact dans les moindres délais.

–           Mettre à la disposition des agents de tout niveau des formations conçues pour diminuer la vulnérabilité aux effets négatifs de stress et surmonter leurs atteintes.

–           Élaborer des réorganisations et des réformes au niveau voulu et proscrire abus, surcharges, dysfonctionnements, exigences exagérées, confusions et harcèlements dûs à des agents de supervision indignes ou incapables de remplir leurs fonctions.

–           Faire évoluer vite les pratiques fautives, contraignantes ou laxistes à l’excès.

–           Corriger les erreurs de recrutement et d’affectation.

–           Améliorer les méthodes de recrutement et les processus de choix des responsables.

–           Détecter les sources de nuisances et de pratiques qui empoisonnent l’existence des opérateurs.

–           Éliminer les conditions matérielles médiocres et réaménager les locaux inadaptés.

–           Diffuser largement des informations sur les stress et les moyens de l’atténuer.

–           Faciliter l’accès des personnes souffrant du stress à des organismes externes fiables.

 

 

Quête continue

Des penseurs sociaux font observer que le stress est indissociable de toute existence puisque les fluctuations des conditions externes et internes dans les sociétés conduisent  à confronter les manifestations d’hostilité, d’intolérance, de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie et d’autres agressions. Le rejet de situations stressantes pour l’organisme se traduit par des comportements de défense et de fuite mais, simultanément, l’attrait de ces situations induit des initiatives pour neutraliser celles dont on se sent victimes.

 

Des mécanismes de compensation jouent heureusement un rôle positif. La recherche de la détente paraît toujours avoir coexisté avec celle de l’excitation. Il n’est cultures ni croyances qui ne proposent aux humains des méthodes pour tempérer leurs tensions. Des processus prônés par des philosophes et des médecins, sont intuitivement suivis depuis fort longtemps.

De fortes amitiés se nouent ; Des affinités offrent leur réconfort ; Les camaraderies sont précieuses. Ces réalités ne suffisent pas à diluer les atteintes les plus accusées.

D’après maintes observations, des procédés similaires sont utilisés par des adeptes de la méditation, du zen, du yoga, du training autogène, de l’hypnose de relaxation, etc.  Il ne s’ensuit pas que les entreprises modernes doivent s’en inspirer et nécessairement en tirer des éléments à intégrer dans leurs sessions de développement. Elles doivent absolument se garder de pratiques d’endoctrinement sous prétexte de contribuer au développement personnel privé.

Mais il n’est pas utopique pour les firmes de favoriser des pratiques de management toujours moins blessantes pour leurs partenaires et qui leur procurent de légitimes satisfactions.

 

Une grand part des efforts pour maîtriser les effets nocifs du stress est à la portée des entreprises. Les salariés eux-mêmes doivent aussi apprendre,  individuellement, à mieux défendre leur sérénité et chercher à diminuer leur vulnérabilité aux agressions. Cela ne dispense en rien les instances qui jouent un rôle important dans les sociétés à prendre des dispositions « anti-stress » en leur pouvoir.

charles.kramer@alumni.insead.edu

 

À consulter

http://www.atctoxicologie.fr/atc-lassociation-toxicologie-chimie

Agnvall E. «Stress. Don’t let it make you sick» AAARP Bulletin, novembre 2014

Albert E. Institut français d’action sur le stress.  «Le bien-être au travail  va devenir une nécessité absolue pour créer de la valeur». Christophe Bys Usinenouvelle.com, 2014.

Dr. Dabon P. G. «Le tabou du stress au travail» Octobre 2014» Editeur : DERVY; « Les effets pervers du stress au travail» Le journal du net. 1 décembre 2014.

Erlangsen, et al. «Short and long term effects of psychosocial therapy provided to persons after deliberate self-harm; a register-based, nationwide multicenter study using propensity score matching» Lancet Psychiatry  2014.

Eurofound«Psychosocial risks in Europe. Prevalence & strategies for prevention» Dublin 2014

Fruguière A., Poussin V.« Les maladies du stress » Le cercle Psy n°4,  2012

Nguyen C..«La Qualité de Vie au Travail, solution aux risques psychosociaux ?»indicerh 12 mai 2014 Parker-Pope T. «Is work your happy place ? » TheNew-York times, 22 mai 2014                     Tomova L. et al. « Is stress affecting our ability to tune into others? Evidence for gender differences », Psychoneuroendocrinology, vol. XLIII, mai 2014.