Par Nelly Margotton (voir l’article original)
La RSE est à la mode, on en parle, on l’affiche, on la brandit telle une preuve de sa bonne foi pour justifier des décisions RH parfois contestables… En revanche, dès qu’on part dans la définition, les premières divergences émergent : comment traduire ce sigle ? Responsabilité Sociale de l’Entreprise, Responsabilité Sociétale de l’Entreprise, Responsabilité Sociale et Environnementale, Responsabilité Sociétale et Environnementale, … ? Si la RSE a vocation à donner du sens « humain » aux activités économiques, il semble donc intéressant de voir quel sens elle se donne à elle-même. Et si je veux encore plus « chipoter », je m’attarderai sur le concept de « Responsabilité » qui, s’il fait consensus dans l’appellation, ouvre aussi le champ large aux interprétations.
La RESPONSABILITE
La responsabilité induit dans sa définition l’idée de répondre de ses actes, de réparer ses torts, et par extension, dans la société d’aujourd’hui, de prévenir aussi des préjudices futurs, qu’ils soient humains, économiques ou environnementaux. L’entreprise responsable assume donc ses actes, et plus largement elle est censée assumer les origines de ces actes : les projets qui la conduisent à prendre telle ou telle décision. On parle donc de responsabilité des « intentions », ce qui suppose au départ une liberté de choisir entre différentes opportunités. Dans un contexte de plus en plus contraignant (aux niveaux législatif, technologique, économique, global, …), la liberté a ses limités, et l’intention de départ obéit souvent au marché, qui oblige les décideurs à s’adapter et à adapter leurs structures aux exigences extérieures, ce qui provoque nécessairement des changements qu’il faut ensuite mettre en œuvre.
Liberté d’entreprendre (choix d’options à l’intérieur d’un marché) et responsabilité sont donc étroitement liées : c’est dans ses choix que l’entrepreneur assume les conséquences futures sur les facteurs sociaux, sociétaux, environnementaux. Mais si l’entrepreneur n’est pas visible ou qu’il est diffus, et que c’est un groupe d’actionnaires (pas toujours présents dans l’entreprise) qui décident du futur, comment la responsabilité des choix est-elle assumée ? C’est là qu’arrive le DRH et/ou le responsable de communication et qu’on crée des projets visant à préserver le capital humain en apportant des réponses, face aux exigences de respect : respect des salariés, du dialogue social, des normes environnementales, de considérations écologiques, …… C’est là qu’arrivent aussi les instituts de formation et de conseil avec leur offre relative au bien-être au travail, à l’organisation efficiente… pour aider (ou tenter d’aider) le DRH à assumer les choix, contraints par le marché, qu’ont pris les entrepreneurs ou les actionnaires, qui parfois ont ce genre de considérations sociales, parfois pas. Et là on monte le projet « RSE »… et on voit ensuite ce qu’on sous-entend par « S » et « E ».
Pour autant, la RSE n’est-elle qu’un pansement ?
De nombreuses entreprises affichent un volontarisme affirmé à ce sujet, comme j’ai pu le constater lors du déjeuner-débat organisé par le Club de la Presse Strasbourg Europe la semaine dernière, dont un compte-rendu est lisible sur le blog du journaliste Claude Keiflin. Lilly France par exemple participe à la lutte contre le cancer du sein en organisant tous les ans une course féminine à Strasbourg ou en envoyant des salariés en mission humanitaire (comme GDF Suez en cas de catastrophe) ; on est typiquement dans le champ « sociétal », c’est-à-dire sur des décisions impactantes pour l’environnement direct et indirect, et la société
Quelle est le rôle de l’entreprise dans la société ? Les attentes sont de plus en plus grandes et en même temps de plus en plus diffuses. Dans un contexte économique plus que défavorable pour l’emploi et pour les gros projets d’infrastructures ou de développement des collectivités, on ne se contente plus d’attendre de l’entreprise seulement qu’elle vive ou survive en maintenant ou en créant des emplois et en apportant une richesse économique sur le territoire ; on lui demande aussi de participer à des efforts collectifs directs (charges, …) ou indirects (préservation de l’environnement, insertion, diversité, engagement humanitaire, dons, fondations de soutiens de projets, etc…) De même les salariés ne demandent plus seulement un poste et une rémunération la plus équitable possible, ils ont des velléités de faire participer l’entreprise à leur épanouissement personnel, soit en leur procurant des perspectives de carrière, des projets ou moyens matériels pour les réaliser, soit en leur laissant suffisamment de disponibilités pour le faire ailleurs (en famille, en club, …). On les oblige aussi à définir des actions liées à l’employabilité future de leurs salariés, à travailler main dans la main avec toutes les structures (écoles, collectivités, état, …) qui veulent élaborer des programmes de formation adaptés au contexte changeant des besoins de l’entreprise ; on leur demande encore de s’adapter aux réformes législatives multiples et incessantes (par exemple l’accord sur le contrat de génération à mettre en place pour la rentrée !). et enfin, il ne faut pas oublier les attentes purement comptables de rentabilité financière.
Impossible de répertorier toutes les attentes… Elles sont trop diffuses et dépendent de contextes de territoire ou d’individus, ou de politique.
En tout état de cause, c’est une responsabilité de tous les instants de devoir répondre à toutes ces attentes ! A la charge d’une personne au moins à temps complet ! Et donc on a des loupés… Et donc il faut assumer les « fautes ». Dans une société où on a l’habitude de montrer du doigt et de proclamer à tout bout de champ des règles morales qui sont souvent ponctuelles, on a vite fait de déstabiliser une entreprise… On confond éthique et morale. L’éthique va fixer des principes et des valeurs pour des pratiques et des décisions, et va permettre de fixer les limites de la responsabilité. La morale sera plus fluctuante, individualiste, et dépendra souvent de contextes, ce qui est beaucoup plus flou. D’où l’importance pour l’entreprise de définir effectivement sa politique de responsabilité et surtout de la piloter. Le pilotage va faire prendre conscience aux acteurs que certaines attentes sont divergentes, et qu’il va donc falloir arbitrer et définir toujours plus précisément les champs d’intervention, les priorités, et donc les valeurs de l’entreprise. Et en général, les questions sociales sont souvent prioritaires vis-à-vis des questions sociétales, car elles concernent directement la survie de l’entreprise : un bon climat social reposant sur un dialogue apaisé va permettre le développement. Ce qui pose la question de la représentativité de chacun des acteurs du dialogue social… Si le champ social prend ses responsabilités sociétales, donc si on coupe court aux rivalités stériles liées à des enjeux de pouvoir où certains représentants se représentent surtout eux-mêmes (…), on peut avancer sur une exemplarité sociétale car on peut s’occuper d’autre chose, notamment d’environnement, d’ancrage territorial.
Quand on veut montrer du doigt, on montre l’exemple ?
A la base de la responsabilité de l’entreprise se trouve encore et toujours un dialogue social qui ne trouve pas ses marques et qui reste fragilisé par le contexte où chaque partie prenante doit défendre son pré carré pour sa survie. Un dialogue social qui vient réinterroger le concept de travail décent*, car le rapport de l’homme à son travail est directement lié au rapport de l’homme à l’entreprise. On étend les responsabilités de l’entreprise, mais qu’en est-il des responsabilités de l’homme au travail ? Hormis l’application de son contrat, quelle est sa propre responsabilité sociale, sociétale et environnementale ? Est-il aussi exigeant dans son application des règles que dans ses attentes? Certaines marques s’intéressent aux conditions de travail et de production, d’autres pas. A l’heure des soldes où l’on voit les consommateurs se ruer sur des articles à bas prix en oubliant la récente tragédie liée à l’effondrement d’une usine textile au Bengladesh, (et qui concerne quelques marques bien présentes en France…), on se dit que les règles les plus élémentaires en termes de travail décent et climat social ne valent pas pour tout le monde. Il est bien entendu qu’on ne va pas demander à tous les individus de plaider coupable, juste de remettre en cause leurs propres pratiques. De même pour les engagements syndicaux ou politiques : les structures n’osent plus avouer leur nombre d’adhérents tellement la fuite est intense, et tellement la défiance de la population à leur encontre grandit. Si tous les représentants (avec ou sans mandat) mettaient un plus en accord paroles et actes et s’ils avaient des échéances et projets moins électoralistes et plus conformes aux convictions affichées, le dialogue social ressortirait renforcé…
Bref, la responsabilité des entreprises commence… à chaque niveau. Elle repose avant tout sur des individus qui vont pouvoir ensuite la transmettre à leur entreprise. Cercle vertueux. Ce qui fait du bien à l’intérieur se voit à l’extérieur, c’est le « responsabilitus actif »…
Nelly Margotton
Conférencière – Consultante – Formatrice
Fondatrice du cabinet PHEDON SAS : www.phedon-consult.com
blog : http://www.lentreprosophe.com/
nelly.margotton@phedon-consult.com