Par Elliott Katane
Le mardi 25 mars 2014, le Club des Chasseurs de Têtes a organisé, comme chaque mois, une conférence-débat au Press Club de France. Le thème de cette séance s’est porté sur les métiers de la finance et quatre invités de marque ont, sous l’orchestration de Jean-Philippe Mouton de Villaret, tenté de s’accorder pour répondre aux questions suivantes : à quoi servent les métiers financiers ? Sont-ils des outils au service d’une économie, leur conférant ainsi une image statique, ou sont-ils, au contraire, des métiers qui se développent beaucoup et qui agiraient comme vecteurs de l’économie ?
Ainsi, Laurent Gareau, directeur général finance de HMY, Jérôme Goaer, président du département communication financière de Publicis Consultants, Frédéric Huynh – conseil directeur du recrutement international et de la marque employeur d’Ernst & Young et Stéphanie Lacan-Tabouis, directrice du département communication financière de Publicis Consultants ont apporté leur savoir en présence des membres du Club des Chasseurs de Têtes, également actifs lors de ce débat.
L’image du directeur financier : une cicatrisation difficile
Parce qu’elle a été écorchée au fil des années et à cause du sérieux qu’impose la maîtrise des chiffres et la responsabilité qui en découle, l’image d’un directeur financier est figée dans le marbre. L’homme (car c’en est souvent un) est décrit comme strict et rigoureux, dans le contrôle et la sanction. « Le DAF ne peut « se permettre d’arriver à moto aux yeux des gens », constate Laurent Gareau. Et de poursuivre : « aujourd’hui, je m’adresse à vous, recruteurs et chasseurs de têtes, pour nous aider à changer son image figée. En effet, le monde a changé, et le directeur financier a évolué avec lui. Il a une dimension relationnelle et humaine qui doit être exploitée ».
Jérôme Goaer et Stéphanie Lacan-Tabouis, respectivement président et directrice du département communication financière de Publicis Consultants, ont approuvé cette idée selon laquelle un directeur financier n’est plus un triste manipulateur de chiffres. Bien au contraire.
« 50 % de l’activité d’un directeur financier est de la communication »
Au catalogue des métiers de la finance figurent le controling, la comptabilité, la trésorerie et parfois les domaines juridique et informatique qui s’y rattachent indirectement.
Jérôme Goaer complète la liste de ces métiers par une fonction primordiale et souligne que « le DAF prend de plus en plus la parole et devient un vecteur de communication à l’importance grandissante. C’est encore plus vrai pour les sociétés cotées et dont le président est en binôme avec le directeur financier. Ils sont vraiment les réprésentants de la société et posent un vrai challenge de communication. 50% de l’activité d’un directeur financier est de la communication. »
« On ne cherche pas des clones, on cherche un DAF qui puisse correspondre à l’ADN de l’entreprise. »
Quid de la fonction financière : quel profil recherche-t-on ? Pour trouver le directeur financier d’un client, il semblerait que les chasseurs de têtes aillent trop souvent chercher le clone du précédent. « Je ne suis pas d’accord avec ça, rétorque Stéphanie Lacan-Tabouis. Même si cela peut rassurer le client, je pense que la fonction est transversale car un DF qui vend des tables pour une société pourra travailler pour une société qui vend des pièces auto, ou qui ne vend pas (par exemple, une SSII). » Et de poursuivre : « il faut présenter des candidats qui ne viennent pas forcément du même secteur, car cela peut apporter de la richesse et de la créativité ».
Laurent Gareau ajoute que « le DAF doit être capable de lire toutes les lignes du bilan. Il ne doit pas être « haut de bilan » ou opérationnel. C’est important qu’il soit capable de passer d’une écriture comptable au dialogue avec des investisseurs ou des actionnaires. Il peut y avoir trop de spécialisation de la part du directeur financier. S’il ne regarde pas le cash ou les marges, la boîte tombe… »
Florence Netter, administratrice du Club des Chasseurs de Têtes, ajoute également qu’en fonction de la taille de l’entreprise, le DAF n’aura ni les mêmes fonctions ni le même salaire. « La différence est notable, c’est le jour et la nuit », affirme-t-elle. « Les salaires peuvent être jusqu’à trois fois inférieurs à une grande boîte dans une PME, mais les directeurs financiers sont plus contents ».
Du directeur financier 2.0 au directeur financier 3.0, il n’y a qu’1.0 pas
Aujourd’hui, le DAF est un communicant, un business partner et un pivot central du fonctionnement de l’entreprise. Autant de fonctions et de responsabilités qui le placent au centre d’une pression phénoménale.
« Prenons l’exemple d’un directeur financier faisant partie d’un grand groupe côté. La proportion du temps passé à exercer ses fonctions se découpe ainsi : 90% de communication contre 10% de comptabilité. Aux USA, l’accélération du temps est démentielle. Un trimestre paraît long et c’est désormais tous les mois que les investisseurs réclament des chiffres. Les réseaux sociaux se développent énormément et, toujours outre-Atlantique, les directeurs financiers s’en servent avec le live-tweet par exemple. De plus, la délocalisation des investisseurs en Asie nécessite également une adaptation de fuseaux horaires. »
Une adaptation qui sera nécessaire en France et « qui fait peur parce que d’ici 2-3 ans, cela arrivera chez nous. Qui occupera ce rôle de porte-parole des chiffres ? Le poste de directeur financier subit un taux de turnover impressionnant, car si les chiffres ne sont pas bons d’un trimestre à l’autre, c’est lui qui est mis à mal » explique Frédéric Huynh.
Ainsi, confie Laurent Gareau, « il se doit d’être communicant et ne plus subir les conséquences de l’image de silence qu’il incarnait jusque-là. Maintenir une attitude trop évasive et ne pas rentrer suffisamment dans le détail met le directeur financier « sur un siège éjectable ». Il lui faut expliquer les situations, qu’elles soient positives ou épineuses. Etre clair dans la conduite des opérations financières du groupe est une règle fondamentale du DAF. »
Etre clair avec les investisseurs ne suffit pas toujours, tout comme la communication est un vrai talent à mener rondement. « Le but du directeur financier, c’est de battre le consensus », explique Jérôme Goaer en parlant des analystes et des prévisions qu’ils peuvent faire. « Ils font la pluie et le beau temps sur leur secteur et, s’ils ne sont pas supposés entrer en contact avec les DAF, il peut leur arriver de déjeuner ensemble, et de mentionner quelques chiffres… » On parle alors de communication influente. C’est peut-être, justement, l’étape à ne pas manquer pour les directeurs financiers du XXIème siècle, cette ère où l’enrobage des chiffres compte autant que les calculs qui leur donnent naissance.
Laurent Gareau, Jérôme Goaer, Frédéric Huynh et Stéphanie Lacan-Tabouis ont été reçus au Press Club de France dans le cadre de la conférence-débat mensuelle du Club des Chasseurs de Têtes.