(France, Allemagne, Italie, Grande‐Bretagne)
Il est courant désormais de se référer aux modèles sociaux de pays voisins pour en vanter les réussites alors que son propre pays butte sur une réforme difficile. Les gouvernements, les directions d’entreprises évoquent régulièrement les avantages de tel modèle pour en suggérer la transposition. C’est le cas, par exemple, de la France qui vante dans certains cas le modèle social anglais pour sa souplesse ou dans d’autres cas le modèle allemand pour son principe de codétermination.
Mais est‐il possible de transposer ce qui peut être considéré comme une réussite dans un autre pays ? Un accord conclu dans une entreprise italienne peut‐il servir de modèle pour une entreprise allemande ? Cette étude tente de répondre, au lendemain de la loi du 14 juin 2013 sur la compétitivité, à ces difficiles questions en se concentrant principalement sur des cas d’entreprises. Il nous a semblé intéressant de nous focaliser sur les leviers utilisés dans la recherche de la compétitivité par la négociation collective dans des
entreprises et branches de quatre pays. Voici un résumé des principaux exemples cités dans ce panorama et qui peuvent illustrer les tendances actuelles en Europe en termes de compétitivité.
L’automobile française : à la recherche d’une meilleure compétitivité
En France, l’un des exemples les plus parlants est sans doute le « pacte social » de Renault signé en avril 2013. En effet, celui‐ci a été un des premiers accords signés qui affichait sa volonté de mettre la compétitivité au centre de la production. Longuement discuté entre les partenaires sociaux, il se base sur quelques compromis :
‐ Du côté de la direction : une non‐délocalisation de certaines activités d’ingénierie et de production et un volume constant de production en France, ainsi que le non‐recours à un Plan de sauvegarde de
l’Emploi pour faire partir les 7500 postes d’ici 2016 et quelques embauches spécifiques.
‐ Du côté des salariés : une annualisation du temps de travail, un gel des salaires sur 3 ans avec pour contrepartie un renforcement de l’intéressement.
Ainsi, cet accord, qui est l’un des plus ambitieux, a servi de modèle à d’autres accords à l’instar de celui de PSA et a ouvert la voie à la négociation sur la compétitivité qui trouvera son cadre juridique le 14 juin 2013.
Allemagne : les clauses d’ouverture dans la métallurgie
En Allemagne, l’évolution la plus importante dans la recherche de la compétitivité est la mise en place des « clauses d’ouverture » dans la négociation collectivité. Les clauses d’ouverture permettent de décentraliser la négociation dans les entreprises, et permettent dans certaines situations de déroger aux dispositions prévues par la convention de branche. Les branches ont ainsi pu procéder à de profonds réaménagements dans l’organisation du travail et du temps de travail véritable moteur de compétitivité. Par ailleurs, C’est aussi la négociation de branche qui reste compétente pour remodeler la structure des salaires pour davantage lier ces derniers à la productivité. Ces clauses dérogatoires aux conventions collectives ont connu une évolution en 2004‐2005 notamment dans la métallurgie qui ont permis aux entreprises d’y recourir même en l’absence de crise économique. Par contre, ces clauses nécessitent un accord entre représentants du patronat (ou entreprise) et organisations syndicales.
Fiat, ou comment se construire un cadre de relations sociales favorables au changement
En Italie, ce qui est à retenir c’est l’exemple de l’entreprise Fiat qui a décidé de sortir de sa branche métallurgie (à partir du 1er janvier 2012) pour reprendre la main à son niveau, ce qui a enclenché une
tendance à la décentralisation des négociations en Italie. Le but était de sortir de l’application des conventions collectives, l’entreprise en a informé les organisations syndicales et les a les réunies pour
négocier dès fin 2011. Un nouvel accord a vu le jour avec notamment un salaire minimum au sein du groupe, un raccourcissement des pauses compensé par des augmentations de salaires et une augmentation des plafonds d’heures supplémentaires autorisées. Ce qui a été le plus surprenant c’est que le syndicat FIOM non signataire de cette nouvelle convention s’est vu refuser les avantages liés à la représentativité chez Fiat. Si cet accord a été critiqué par les organisations syndicales et contesté juridiquement, il reste néanmoins un exemple majeur en ce qui concerne la recherche de la compétitivité.
L’engagement des salariés comme moyen pour traverser une période difficile : le Lancashire County Council au Royaume‐Uni
Enfin en Grande‐Bretagne, hormis le « Zero hour contract » (ou littéralement un « contrat à zéro heures », permettant d’avoir des horaires entièrement modulables) comme levier ultime de flexibilité et de
compétitivité pour les entreprises, l‘étude montre quelques exemples dans la recherche de la compétitivité. Par exemple, dans le secteur public, le Lancashire County Council a choisi le levier, celui de la participation des salariés. Ainsi, le conseil savait qu’il devait faire des économies, il a exposé la situation à ses salariés et aux organisations syndicales et leur a demandé leur avis. Cette méthode a permis non seulement de faire les économies demandées (soit 25% en 3 ans) grâce à des départs volontaires plutôt que des licenciements, mais aussi notamment ressoudé les équipes et engendré une baisse de l’absentéisme et obtenu un engagement plus important.
En conclusion, que retenir de cette comparaison entre ces quatre pays européens ?
Tout d’abord, on observe deux séries de tensions particulièrement marquantes :
– Tensions entre une tendance à la relance des garanties collectives minimales (par exemple en Allemagne avec les salaires), et un assouplissement du mécanisme de protections collectives
(Europe du Sud, France) jusqu’au cas extrême de la Grande‐Bretagne avec les « zero hour contracts ».
– Tensions entre la réaffirmation du rôle régulateur des branches et le déplacement de l’élaboration de la norme sociale vers l’entreprise (en Italie, en France, mais aussi en Allemagne avec la possibilité de déroger temporairement aux normes collectives).
– Nous pouvons aussi retenir, à travers les exemples des pays étudiés, que la crise amène les acteurs sociaux à trouver des compromis réalistes (réalisme social) et les pousse à éviter une
radicalisation de leurs actions.
– Les taux de syndicalisation pratiquement partout en baisse et une fragmentation accrue du mouvement syndical dans les pays européens (y compris en Allemagne), orientent la recherche
de compromis différents et ainsi de nouveaux mécanismes de régulation sociale.
Moins de conflits, plus de coopération entre les acteurs sociaux permettent de trouver des compromis nécessaires sur les sujets d’actualité dans tous les pays : la compétitivité des entreprises contre une garantie temporaire sur l’emploi et d’investissement. Les sujets de négociations sont partout les mêmes. Modérations salariales et l’aménagement de la durée du travail sont les principaux leviers utilisés.
A suivre… notamment sur les premiers effets de la loi de sécurisation du 14 juin 2013 en France !
Entreprise & Personnel
http://www.entreprise-personnel.com/
Andrea Broughton ( Institute for Employment Studies )
Alessandra Lazazzara & Raoul C.D. Nacamulli ( University of Milan Bicocca )
Hagen Lesch & Oliver Stettes ( Institut der Deutschen Wirtschaft Köln )
Marie-Noëlle Lopez ( Planet Labor )
Michèle Rescourio-Gilabert ( Entreprise&Personnel)