© Jag_cz – Fotolia.com
Par Nelly Margotton
Considérer la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) en entreprise uniquement comme un processus qu’il va falloir piloter rigoureusement en fonction d’indicateurs et d’outils performants, c’est oublier la vocation du professionnel RH empreint de convictions souvent humanistes et de culture économique et stratégique.
Evidemment, il est clair que la GPEC doit permettre à l’entreprise de répondre à différents défis : mondialisation, inflation législative, nouvelles technologies, développement durable…
Evidemment, la GPEC va permettre de résoudre des problèmes internes : recrutement, formation, turn-over, restructurations, climat social, …
Mais il est important de ne pas oublier de se poser des questions essentielles et moins techniques :
Pour quoi (en 2 mots !) et comment travaillerons-nous demain ?
Vers une nouvelle définition de la compétence?
Ce qui engage à redéfinir le terme « compétence » lorsque l’on se demande quelles seront les compétences nécessaires pour demain… Au-delà de la description classique, centrée sur les savoirs, savoir-faire et savoir être, on peut aussi légitimement s’intéresser à toute la dimension masquée, cachée, et pourtant déterminante…
Comme le montre notre illustration (1) ci-dessous, le rapport de l’individu au travail, la relation employeur-entreprise-salarié(s), sont déterminants aussi pour envisager le devenir des compétences de nos salariés qui ne sont pas que des forces de travail mais des… individualités.
Les réformes législatives en cours (formation, mobilité, sécurisation des parcours) accentuent justement cette individualisation de la relation de travail et complexifient la mission de l’employeur et de celui qui tient le rôle de gestionnaire et développeur des ressources humaines… Le professionnel RH ne peut plus seulement considérer qu’il gère des ressources mais aussi des relations humaines et sociales en entreprise.
Comment dès lors explorer son environnement et identifier les problématiques propres à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences si tout n’est pas si prévisible par le biais d’indicateurs, mais que des considérations purement individualistes* entrent en jeu ?
GPEC et individualisation de la relation employeur-salarié
Il est donc fortement conseillé de ne pas s’appuyer seulement sur la connaissance de son environnement et de ses facteurs de contingence (ce qui représente déjà en soi un véritable challenge…), mais aussi sur des enquêtes sociales (notamment syndicales – salariés et employeurs) et sur l’analyse des aspirations professionnelles que l’entretien professionnel obligatoire tous les 2 ans rend possible.
En outre, on constate également la puissance du travail en réseau pour échanger les bonnes pratiques et envisager l’avenir d’un bassin d’emploi de manière concertée – entre entreprises mais pas seulement : les acteurs de l’emploi et de la formation, les observatoires et les OPCA, sans oublier les universités et les écoles qu’on écarte trop souvent… et qui s’écartent aussi fréquemment elles-mêmes alors qu’elles accueillent et accompagnent les salariés de demain. Nous les encourageons à créer des clubs, des ateliers, à mieux se comprendre… La territorialisation de la GPEC porte ses fruits partout où elle s’applique.
La GPEC n’est donc pas qu’un processus mais engage une dynamique de changement dans l’entreprise en affectant nécessairement le management, en le remettant en cause si on va au bout de la démarche. Car la GPEC conduit au changement qui lui-même se pilote et ne réussit qu’avec une stratégie d’accompagnements collectifs et individuels… La prise en compte des conceptions individuelles du devenir en entreprise est un véritable enjeu auquel on doit répondre si on veut adapter nos entreprises à la société ; une société qui évolue et qui recherche de nouveaux équilibres entre opportunités et contraintes, entre demande urgente d’éthique et remise en cause de processus de moralisation généralisée qui sont parfois d’un autre temps mais qui sont les réponses politiques actuelles depuis quelques années.
C’est donc la GPEC qui nous aidera à trouver des solutions aux phénomènes religieux en entreprises, à la disparition progressive de la représentation des salariés, au sentiment de souffrance au travail, à l’absentéisme et bien sûr aux problèmes d’adéquation entre les compétences et les métiers. Cela n’est inscrit dans aucun tableau de bord, mais c’est la clé de l’anticipation des comportements au travail, du « pour-quoi » on travaillera demain et du « comment »… C’est pourquoi les sciences humaines et sociales s’invitent dans les débats par le biais de la philosophie, de la sociologie, des sciences de l’éducation, des neurosciences et de tout ce qui touche l’étude de l’évolution de l’individu.
Et suivons Nietzsche qui nous interpelle : » Si ton oeil était plus aigu, tu verrais tout en mouvement »
(*NB : nous insistons comme nous l’avons fait par ailleurs sur la différence entre individualisme et égoïsme… L’individualiste considère simplement que les intérêts des individus-salariés sont plus importants que ceux de l’entité entreprise, alors que l’égoïste se concentre sur lui en dehors de toute considération relationnelle)
(1) inspirée notamment par S. Guerrero, dans Les Outils RH, qui propose aussi une définition avec un iceberg, que nous avons librement modifiée.